Spectre, le dernier James Bond. L’agent 007 embarque Madeleine Swann dans un train à travers les steppes désertiques du nord-est du Maroc. La ligne sur laquelle a été tournée certaines de ces scènes existe. Quelques voyageurs ont la chance d’emprunter ce « train du désert » entre Oujda et Bouarfa.
Gare d’Oujda. Sur le quai, un train qu’aucun tableau d’affichage n’indique. Quelques wagons seulement. Certes, il ne ressemble pas à celui dans lequel dîne puis se bat James Bond dans Spectre mais il emprunte la même ligne que l’agent 007, au cœur des steppes désertiques du nord-est marocain. Attention au départ, l’Oriental Desert Express va partir. Direction Bouarfa, à 304,5 km d’ici.
Eddy Kuntz regarde la gare s’éloigner depuis la porte arrière du dernier wagon. Il connait le trajet par cœur mais l’entame toujours avec la même émotion. C’est grâce à ce Suisse, amoureux du Maroc et des trains, que des voyageurs peuvent aujourd’hui de nouveau emprunter cette ligne.
« J’ai maintenant 70 ans d’âge et j’ai toujours aimé les trains ». Passionné d’alpinisme, il vient la première fois au Maroc pour « faire le Toubkal , avec skis et peaux de phoques ». Il reviendra ensuite à de nombreuses reprises et tombera amoureux d’une Marocaine qu’il épousera. Il crée une agence de voyage en Suisse puis finit par s’installer au Maroc. Eddy parle d’ailleurs darija, avec un charmant accent. « Quand tu travailles dans le tourisme, il faut avoir des nouveautés, tu ne peux pas toujours faire la même chose ». Il décide alors, logiquement, de proposer à ses clients de découvrir le Maroc en train. En 2002, il découvre cette ligne entre Oujda et Bouarfa, empruntée seulement par quelques trains de marchandises mais toujours opérationnels et traversant des paysages exceptionnels.
Alors que le train passe devant l’ancienne église catholique, à Beni M’thar, Eddy Kuntz se fait prof d’histoire : la ligne a été construite sous le Protectorat. La Société Mer-Niger comptait alors relier la Méditerranée au Niger. Le projet n’est jamais allé à son terme mais la ligne Oujda-Bouarfa a longtemps permis de transporter le charbon et les minerais de la région. Jusqu’à la fin des années 90, quelques trains de passagers y circulaient aussi. Depuis, seuls quelques convois de fret empruntaient cette voie ferrée historique. Jusqu’à ce qu’Eddy lance le « train du désert ». En 2004, il négocie avec l’ONCF la location d’une locomotive et de quelques wagons pour offrir à ces clients ce voyage d’exception. « Moi j’aime les trains : il y en a qui se paye une BMW, moi c’est un train », sourit l’homme à la belle moustache grise. L’un des wagons est une première classe climatisée, l’autre un wagon plus vieux dont les fenêtres s’ouvrent afin de pouvoir prendre films et photos
À travers les fenêtres défilent une plaine verdoyante, puis des oliviers jusqu’à ce que les arbres se fassent de plus en plus rares et que seuls poussent les lauriers dans le lit asséché de l’oued. Au fil des kilomètres, le paysage devient désertique, avec la traversée de steppes arides où vivent des nomades sédentarisés. Le trajet est ponctué de gares abandonnées, comme celle de Tendara. Les murs de grosses pierres beiges sont restés. Le toit a disparu. Des morceaux de briques rouges jonchent le sol, portant encore les inscriptions montrant qu’elles ont été construites en France. « C’était de la qualité commente Eddy, les gens les ont emportées ».
Lui voudrait aménager dans une de ces gares au charme nostalgique un café-restaurant pour une étape, en faisant travailler les habitants de la région. Pour l’instant, le déjeuner se prend dans le train.
Aziz, le cuisinier, présente fièrement sa cuisine, aménagée dans un wagon : sur un réchaud à gaz posé au milieu, un plat dégage sa bonne odeur : « C’est un tajine berbère viande boeuf carotte tomates oignons pommes de terre, avec un peu de citron ». Et « là on peut faire le thé, du café, il y a des pâtisseries marocaines. Koulchi ! Marhaba ! » Celui qui travaille pour l’agence de voyage depuis 13 ans, explique que ce train, « c’est très important, ça fait du travail et de la publicité pour notre pays ». Il aimerait d’ailleurs que plus de touristes puissent en profiter.
Proposer plus de voyages : c’est aussi le souhait d’Eddy Kuntz qui a organisé une quarantaine de trajets depuis 2002. Celui qui vit en famille à Figuig et connaît le niveau de vie moyen des Marocains, voudrait aussi démocratiser le voyage. Aujourd’hui, il le propose à des touristes étrangers, surtout des Suisses-Allemands, dans le cadre de circuits Marrakech-Rabat-Fès-Meknès-Oujda pour 400 à 500 euros. « Si on peut offrir le train à 200 Dhs, on aura des Marocains » estime Eddy Kuntz qui voudraient négocier avec l’ONCF pour des voyages plus fréquents et moins chers.
Le directeur général du Conseil régional du Tourisme de l’Oriental, qui fait ce jour-là le voyage, voudrait lui aussi développer le « train du désert » : « Ce train c’est un patrimoine mobile, estime M. Toulout, il est extraordinaire. C’est un train qui peut apporter beaucoup pour le tourisme national et international, c’est un produit unique ! ». Alors pourquoi ne pas en faire profiter plus de voyageurs ? « La complication c’est que les gens doivent se mettre d’accord pour une grande réunion pour faire marcher ce train ». Il faut « la volonté de tout le monde, de l’autorité locale, de la région et au niveau national : il faut que tout le monde partage la même vision ».
Car le train du désert prend son temps ! 50 km/h maximum, mais bien souvent moins. Surtout dans le dernier tiers du trajet, quand le sable envahit les rails et qu’il faut rouler au pas. Ou même s’arrêter. C’est alors qu’interviennent ceux qu’Eddy appellent « les hommes des sables » : l’équipe chargée de désensabler les rails.
Le voyage d’un peu plus de 300 km peut durer jusqu’à 12 heures ! Ce qui laisse le temps, avant d’atteindre la gare de Bouarfa, de voir la lumière tomber et le soleil se coucher sur l’Oriental.